La CNIL rend son avis sur le projet de passe sanitaire pour l’accès aux grands rassemblements de personnes

12 mai 2021

La CNIL s’est prononcée, le 12 mai 2021, sur le projet du Gouvernement relatif à la mise en place d’un passe sanitaire conditionnant l’accès à certains lieux publics recevant de grands rassemblements de personnes. La CNIL demande que la loi soit précisée et des garanties supplémentaires apportées.

L’essentiel

  • La CNIL s’est prononcée, en extrême urgence, sur le projet du Gouvernement relatif à la mise en place d’un passe sanitaire pour réguler l’accès à certains lieux, établissements ou évènements, dans un contexte de levée des restrictions sanitaires.  
  • Tout d’abord, la CNIL rappelle la nécessité de s’assurer du caractère temporaire du dispositif. 
  • Elle estime ensuite que le fait que l’usage de ce passe soit limité aux évènements impliquant de grands rassemblements de personnes, à l’exclusion notamment des activités de la vie courante (lieux de travail, restaurants, commerces, etc.), permet de limiter les atteintes au droit à la protection des données et au respect de la vie privée des personnes.
  • Néanmoins, compte tenu des enjeux pour les droits et libertés fondamentaux des personnes, la CNIL considère que la loi devra définir, de manière précise, les finalités, la nature des lieux, établissements et évènements concernés ainsi que le seuil de fréquentation minimal envisagé. Elle devrait également interdire la possibilité pour les professionnels qui ne sont pas visés par le dispositif de conditionner, de leur propre initiative, l'accès à leur établissement à la présentation du passe sanitaire.
  • Enfin, la CNIL souligne que le dispositif devra intégrer un certain nombre de garanties afin de limiter autant que possible la divulgation et la conservation d’informations privées et d’éviter tout risque de discrimination, en raison de l’état de santé mais également en raison de la capacité d’accès et d’usage des outils numériques (possession d’un smartphone, utilisation volontaire de l’application « TousAntiCovid », etc.).
  • La CNIL conclut que le recours à un passe sanitaire ne saurait être envisagé que sous les réserves et conditions détaillées dans son avis.

Le contexte

Afin de permettre la reprise de diverses activités interrompues en raison de la crise sanitaire et la réouverture des lieux fermés en minimisant, dans la mesure du possible, les risques de contamination associés, le Gouvernement envisage de conditionner l’accès à certains lieux, établissements ou évènements impliquant de grands rassemblements de personnes (plus de 1000), à la présentation d’une preuve attestant qu’une personne a été vaccinée contre la COVID-19, a reçu un résultat de test négatif ou s’est rétabli d’une infection antérieure à la COVID-19.

En pratique, c’est la fonctionnalité TousAntiCovid-Carnet, développée initialement pour permettre les déplacements nécessitant un contrôle sanitaire dans le cadre du futur « certificat vert numérique » européen, qui pourrait être utilisée pour accéder aux lieux, évènements et établissements concernés.

Compte tenu des enjeux pour les personnes et du caractère inédit d’un tel dispositif, la CNIL a exprimé, dans son avis, le regret d’avoir à se prononcer dans un délai si bref et postérieurement aux débats intervenus, en première lecture, à l’Assemblée nationale, le principe du passe sanitaire ayant pourtant été évoqué de longue date.

Sur le caractère temporaire du dispositif de passe sanitaire

S’il ne lui appartient pas de se prononcer sur l’utilité scientifique d’un tel dispositif, sur laquelle le Conseil scientifique a rendu un avis positif, la CNIL rappelle que son utilisation ne saurait en aucun cas être maintenue au-delà de la crise sanitaire. En effet, le maintien du dispositif doit être limité à la durée strictement nécessaire à la réponse à la situation sanitaire exceptionnelle et devra, en tout état de cause, prendre fin dès que cette nécessité disparaîtra.

La CNIL demande donc que l’impact du dispositif sur la situation sanitaire soit étudié et documenté de manière fréquente, à intervalle régulier et à partir de données objectives, pour aider les pouvoirs publics à décider ou non de son maintien et demande à ce que ces éléments lui soient transmis.

Sur les garanties à mettre en œuvre en matière de respect des droits et libertés fondamentaux des personnes concernées

Une utilisation limitée aux événements rassemblant un grand nombre de personnes

Le Gouvernement a indiqué qu’il limiterait l’usage du passe sanitaire aux seuls événements les plus à risques en raison du grand nombre de personnes présentes, en excluant les lieux qui ont trait aux activités quotidiennes de la population (restaurants, lieux de travail, commerces, etc.) et ceux liés à certaines manifestations habituelles de libertés fondamentales (notamment la liberté de manifester, de réunion politique ou syndicale et la liberté de religion). La CNIL estime que ces limitations apportent des garanties de nature à minimiser les conséquences du dispositif sur les droits et libertés des personnes.

Elle regrette toutefois l’absence de définition plus précise s’agissant de la nature des lieux, établissements et évènements concernés et considère qu’il est nécessaire d’encadrer, dans la loi :

  • le seuil de fréquentation simultanée minimal, et les modalités d’évaluation de celui-ci, au-delà duquel le passe sanitaire pourrait être mis en œuvre ;
  • les restrictions d’usage du passe sanitaire en interdisant explicitement la possibilité pour les responsables des lieux qui ne sont pas visés par le dispositif de conditionner, de leur propre initiative, l’accès à la présentation des preuves numériques certifiées.

Garantir un niveau de protection des données personnelles particulièrement élevé

La CNIL considère que, compte tenu de son caractère sensible et inédit, la loi et le règlement devront préciser les modalités concrètes de ce dispositif (finalités, nature des lieux concernés, personnes autorisées à vérifier les preuves, etc.) ainsi que les garanties nécessaires pour éviter tout risque d’atteinte au droit au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles (absence de conservation des données dans le cadre du processus de vérification, absence de possibilité de réutilisation des données à d’autres fins, etc.).

Par ailleurs, la CNIL a rappelé l’importance de limiter strictement la divulgation d’informations privées, relatives à la santé des personnes, lors de la vérification des certificats. Elle invite donc le Gouvernement à mettre en œuvre, dans les plus brefs délais, une solution qui permettrait de limiter l’accès aux personnes autorisées à vérifier les certificats à un résultat (couleur verte ou rouge), en complément de l’identité de leur titulaire, afin de ne pas révéler s’il a été vacciné, a fait un test ou s’est rétabli d’une infection antérieure à la COVID-19.

Maîtriser le risque de discrimination et assurer l’inclusion de chacun dans le dispositif

La CNIL met en avant, dans son avis, l’importance d’assurer l’inclusion de l’ensemble de la population dans le dispositif afin d’éviter tout risque de discrimination, en raison de l’état de santé mais également en raison de la capacité d’accès et d’usage des outils numériques telle que l’application TousAntiCovid.

Elle souligne, à cet égard, la nécessité d’interdire toute discrimination entre les différents types de preuves et précise qu’un tel dispositif, qui doit s’inscrire dans une stratégie sanitaire globale et cohérente, ne peut se justifier qu’en complément d’une politique d’accès aux tests et aux vaccins active et équitable.

Enfin, la CNIL rappelle que ces certificats doivent également être disponibles en version « papier » afin de s’assurer de l’inclusion de chacun dans le dispositif. Elle invite le Gouvernement à réfléchir au format et au contenu des preuves papier certifiées de sorte à ce qu’elles présentent les mêmes garanties que leur version numérique en matière d’accessibilité et de protection des données personnelles.

La CNIL sera vigilante sur les modalités concrètes de mise en œuvre de ce dispositif et s’assurera que les droits et libertés des personnes sont respectés, notamment en faisant usage du pouvoir de contrôle que le législateur lui a confié.