Droits numériques des mineurs : la CNIL publie les résultats du sondage et de la consultation publique
Les résultats du sondage et de la consultation en ligne, organisés en 2020, confirment que les pratiques numériques des jeunes sont massives et de plus en plus précoces. Ils témoignent aussi d’une volonté de renforcement de l’autonomie comme de la protection des mineurs en ligne.
La CNIL conduit actuellement une réflexion d’ensemble sur la protection des données personnelles des mineurs et en particulier sur l’exercice de leurs droits numériques. L’objectif est, à terme, de proposer des conseils pratiques et de préciser certains aspects du cadre juridique afin de mieux protéger les droits des mineurs dans l’environnement numérique.
En effet, avec le règlement général sur la protection des données (RGPD) et la loi Informatique et Libertés, les mineurs se voient reconnaitre pour la première fois des droits numériques.
Ainsi, un mineur peut, à partir de 15 ans, consentir seul au traitement de ses données personnelles si celui-ci est effectué dans le cadre de services en ligne et s’il repose sur le consentement. Lorsque le mineur est âgé de moins de 15 ans, le consentement doit être donné par le mineur concerné et le titulaire de l’autorité parentale.
Les études organisées par la CNIL
La CNIL a organisé deux études :
- Un sondage IFOP en février 2020, auprès de 1 000 parents et de 500 enfants de 10 à 17 ans. Ce sondage portait sur les pratiques numériques des mineurs et la perception qu’en ont leurs parents.
- Une consultation publique, publiée sur son site web d’avril à juin 2020 et qui a recueilli près de 700 contributions provenant notamment de professionnels de l’éducation, de personnes intervenant dans le domaine de l’enfance, d’entreprises du numérique ou encore de professionnels du droit. Cette consultation se concentrait sur les enjeux de la protection des données des mineurs.
Ces deux études, complémentaires, ont permis à la CNIL d’identifier plus largement les usages, besoins et attentes de tous les acteurs concernés (enfants, parents, éducateurs, acteurs associatifs, professionnels du numérique et du droit, etc.).
Des pratiques numériques massives et autonomes chez les jeunes publics
La navigation sur Internet sans intervention parentale est généralisée
Les résultats du sondage confirment les enseignements de diverses études récemment réalisées tant en France qu’à l’étranger.
En effet, 82 % des enfants de 10 à 14 ans indiquent aller régulièrement sur Internet sans leurs parents, contre 95 % pour les 15-17 ans.
En moyenne, 70 % des enfants de tout âge indiquent regarder seuls des vidéos sur des Internet, un chiffre minimisé par les parents.
Les jeunes internautes se connectent de plus en plus tôt
Les parents d’adolescents de 15 à 17 ans estiment que la première navigation de ces derniers sur le web a eu lieu vers 13 ans. Les parents d’enfants de 8-9 ans déclarent, quant à eux, que ceux-ci se connectent seuls à Internet depuis l’âge de 7 ans pour jouer en ligne ou regarder des vidéos.
La première inscription à un réseau social semble intervenir actuellement en moyenne vers 8 ans et demi.
Les solutions de suivi de l’activité privilégiées par les parents
46 % des parents de jeunes âgés de 8 à 17 ans ont mis en place des solutions pour suivre l’activité de l’enfant sur Internet.
La solution la plus utilisée est le système de contrôle parental, devant l’interdiction de parler aux inconnus.
Au-delà de cette solution, les parents admettent beaucoup moins avoir mis en place des moyens de surveillance supplémentaires que ne le déclarent les enfants (par exemple l’interdiction d’échanger avec des inconnus, y compris dans le cadre de jeux vidéo, ou encore demander l’utilisation de l’adresse de courriel des parents pour l’inscription à des services en ligne).
Une utilisation d’Internet sous-estimée par les parents
Les parents, qui suivent de près les premiers pas en ligne de leurs enfants, mesurent de plus en plus mal l’ampleur de leurs activités numériques au fur et à mesure que les années passent.
Enfin, le sondage indique que les parents sous-estiment la fréquence à laquelle les jeunes entre 10 et 14 ans jouent seuls en ligne. De même, ils ne sont souvent pas informés de leur présence sur un réseau social (plus de la moitié des enfants de cette tranche d’âge dans le sondage).
L’écart entre la réalité et la perception qu’en ont les parents semble moindre au sujet des achats en ligne effectués seuls par leurs enfants de moins de 15 ans. De plus, la grande majorité des parents (77 %) déclare avoir fixé des règles à respecter lorsque les enfants effectuent des achats seuls (par exemple ne pas dépasser un certain montant ou n’utiliser que des cartes prépayées).
En ce qui concerne l’exercice des droits relatifs aux données personnelles des enfants, les parents sous-évaluent la fréquence avec laquelle les jeunes de 10 à 14 ans demandent le retrait de photos les représentant. Il arrive également aux parents d’intervenir directement dans le même sens, souvent sans en parler à l’enfant concerné.
Lire la synthèse des résultats du sondage sur les comportements numériques des enfants.
Une volonté de renforcer à la fois la protection et l’autonomie des mineurs en ligne
La consultation publique de la CNIL a permis d’identifier deux grandes tendances :
- la volonté que les mineurs gagnent en autonomie ;
- le souhait d’un renforcement de leur protection en ligne.
Ces tendances ne sont pas contradictoires si l’on considère qu’une autonomie encadrée, accompagnée de garanties, peut assurer une meilleure protection.
Vers une plus grande autonomie donnée aux mineurs
Si l’on excepte leurs achats en ligne, d’ailleurs relativement réduits, les pratiques en ligne des jeunes sont considérées par la majorité des répondants comme des actes courants que les mineurs devraient pouvoir accomplir seuls à partir d’un certain âge.
- 64 % des répondants souhaitent qu’ils puissent décider seuls de s’inscrire sur un site de jeux en réseau ou sur un réseau social ;
- 54 % qu’ils puissent créer seuls un compte sur une plateforme de vidéos en ligne ;
- en outre, 80 % des répondants souhaitent que les mineurs puissent exercer seuls leurs droits d’accès, de rectification, d’effacement et d’opposition.
Cependant, dans l’esprit de la majorité des répondants, la reconnaissance de la capacité d’agir du mineur ne s’oppose en aucun cas au devoir de protection des parents : 73 % d’entre eux estiment que les représentants légaux des mineurs doivent pouvoir continuer à exercer les droits de ces derniers en parallèle.
Les garanties demandées pour protéger la vie privée des plus jeunes
Le désir de protection des enfants dans l’environnement numérique fait l’objet d’une forte attente.
86 % des répondants sont favorables à la mise en place d’un dispositif de vérification effective de l’âge de l’usager et du consentement de ses parents, lorsque cela s’avère nécessaire.
La majorité des répondants souhaite cependant que ces dispositifs soient mis en place pour les seuls services en ligne dont l’accès est soumis à une condition d’âge (18 % souhaitent aller plus loin).
Un large consensus se dégage en faveur des garanties complémentaires envisagées pour la consultation publique à l’exception des entreprises du numérique.
Ainsi, près de 90 % des répondants se sont notamment déclarés favorables à :
- la désactivation par défaut des systèmes de profilage des mineurs ;
- l’affichage d’un logo spécifique en cas d’activation de la géolocalisation pour toutes les applications qui leurs sont destinées ;
- l’interdiction des dispositifs d’incitation des mineurs à rester en ligne le plus longtemps possible ;
- la mise en place d’un paramétrage de confidentialité renforcée par défaut pour les services susceptibles d’être utilisés par des jeunes ;
- la publication par les sites et applications destinés aux jeunes de la liste de leurs engagements en matière de protection des données des mineurs dans un format à la fois synthétique et compréhensible pour les enfants.
Les répondants expriment aussi le souhait que :
- les enfants puissent bénéficier d’un meilleur accompagnement dans le monde numérique grâce au renforcement des dispositifs d’éducation au numérique et à la mise à disposition des parents d’outils de contrôle, y compris sur leurs données ;
- les interfaces utilisées par les mineurs tiennent compte de leur niveau de compréhension, notamment en s’attachant au contenu de l’information mais aussi à sa présentation.
Les solutions favorisées par les professionnels du numérique
Les entreprises du numérique privilégient une approche fondée sur l’appréciation des risques, tant pour l’inscription sur les sites de jeux en réseau que pour l’ouverture d’un compte personnel sur un réseau social ou une plateforme de vidéos en ligne. L’essentiel pour eux est que « le niveau de protection reste proportionné aux risques ».
Elles soulignent la nécessité d’une harmonisation au niveau européen des solutions retenues en matière de vérification de l’âge et du consentement parental et expriment très fréquemment l’idée que les entreprises doivent être « libres de choisir la méthode la plus adéquate » en fonction du risque pour l’enfant et de leurs ressources. Plusieurs de ces acteurs disent avoir constaté un taux significatif d’abandon en cas d’utilisation de solutions conditionnant l’accès des enfants à un service nécessitant la saisie par les parents de données telles que le numéro de carte de crédit ou la copie d’un document d’identité.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Plusieurs questions restent en suspens : la vérification de l’âge et du recueil du consentement, les conditions dans lesquelles les mineurs peuvent accomplir seuls certains actes sur Internet, ou encore les critères d’exercice par les mineurs des droits relatifs à leurs données personnelles.
Sur ces différents points, la CNIL rendra public l’ensemble de ses conclusions durant le premier semestre 2021.